COURRIER INTERNATIONAL : TURQUIE – Nous ne serons plus si faciles à gouverner

Les manifestations de masse lors des funérailles de Berkin Elvan, jeune victime des événements de Gezi, annoncent une nouvelle ère dans le pays, assure la presse turque. La concentration du pouvoir et un style de gouvernement autocratique n’ont plus d’avenir.

Desormais il symbolise l’opposition croissante à l’AKP et au Premier ministre Recep Tayyip Erdogan : les funérailles à Istanbul du jeune Berkin Elvan, mort des suites d’un tir de gaz lacrymogène de la police lors des événements du Parc Gezi en juin 2013, suscitent des réactions dans toute la presse turque.

Rusen Cakir dans Vatan fait remarquer à ce propos que “les obsèques de Berkin Elvan rappellent vraiment celles de Hrant Dink [journaliste d'origine arménienne assassiné] en 2007. Elles sont le fait de populations qui dans ce pays ont toujours été exclues. En effet, Hrant était arménien tandis que Berkin était alévi [les alévis sont des chiites hétérodoxes anatoliens qui éprouvent en Turquie un sentiment d'exclusion]. Dans les deux cas, l’Etat est responsable de leur mort. Et leurs assassins à tous les deux sont protégés par ce même Etat. Il est par ailleurs regrettable qu’il faille une pareille tragédie pour que ceux qui ne sont pas alévis découvrent les lieux de culte de ces derniers [cemevi]. Si les télévisions avaient retransmis le discours funèbre du Dede [autorité religieuse alévie], cela aurait à l’évidence contribué à combattre les préjugés à l’encontre des alévis, y compris parmi les sunnites les plus rigides.”

Selon Asli Aydintasbas de Milliyet, “il n’y avait pas moins d’un million de manifestants à ces funérailles où tout comme à Gezi les slogans politiques ont surtout visé [Recep Tayyip] Erdogan”.

Pour une nouvelle forme de gouvernance

Ali Atif Bir dans le quotidien Bugün revient sur ces funérailles où l’on a assisté à des tensions entre manifestants et du personnel de voirie, associé par ces mêmes manifestants au pouvoir.

“Ces échaufourrées, a priori annecdotiques, auraient pu très mal tourner. Les partisans du pouvoir auraient alors eu leur martyr et auraient cherché à se venger. Ce que je veux dire par là, c’est que la tension qui règne est telle qu’il y a désormais dans ce pays un risque de guerre civile. La colère que l’on sent monter de plus en plus ne pourra pas être calmée par des résultats électoraux [les élections municipales auront lieu le 30 mars prochain et le Premier ministre Erdogan ne jure que par les urnes].”

“Les élections ne sont pas tout. Ce qu’il faut” poursuit Ali Atif Bir, “c’est une nouvelle forme de gouvernance qui calme les tensions et qui permette d’en finir avec cette concentration de pouvoir dans les mains d’un seul homme.”

Selon Cengiz Candar dans Radikal “le message délivré par une des plus grandes manifestations de masse de l’histoire d’Istanbul, c’est que désormais la Turquie n’est plus ce pays que l’on pouvait gouverner facilement en contrôlant les médias, en proférant des menaces et en faisant comme si la si la corruption n’existait pas”.

13/03/2014
PIERRE VANRIE
courrierinternational.com