MEDIAPART : Berkin Elvan; le deuil de toute une nation (ou presque)

Il est mort aujourd’hui, je ne l’ai jamais connu, ou vu de ma vie , et pourtant.

Des centaines de mes connaissances, de mes amis, de mes collègues et camarades de classe sont sortis dans la rue, pour manifester, pour démontrer leur solidarité avec sa famille. Il avait 15 ans, s’appelait berkin, et était sorti chercher du pain le jour de sa chute dans le coma. Il est mort aujourd’hui après avoir dépéri des mois durant, dans un lit d’hôpital.

A l’heure d’écrire, les étudiants de toutes les universités d’Ankara sont sortis en masse pour protester, pour montrer autant leur tristesse face à la mort d’un innocent, que leur frustration face à la violence policière de juin dernier. En effet, si les dernières manifestations en date n’ont pas été aussi violemment réprimées ici, tout le monde garde en tête combien les affrontements furent violents en juin dernier.

Je vous écris avant de rejoindre les masses rassemblées dans le centre d’Ankara, mais pendant que je vous écris, le message du gouvernement est clair; les TOMA, véhicules de contrôle de manifestation équipés de canon à eau, aspergent les manifestants. Les hélicoptères survolent le centre d’Ankara, twitter explose de photos diverses, montrant les actes de solidarité partout en Turquie.

Le fait est que j’ai l’impression que les gens ressentent cette mort comme quelque chose d’extrêmement personnel. Au-delà du fait qu’il n’avait que 15 ans, Berkin n’était pas sorti pour manifester mais simplement pour faire quelque chose qui lui semblait normal, acheter du pain pour la maison. Il n’y a pas survécu. Les télévisions locales diffusèrent des images le concernant aujourd’hui, on en parle un peu partout, ça n’échappe à personne, alors que d’ordinaire, pour beaucoup, la Turquie semble scindée de façon très prononcée entre les classes supérieure et les classes inférieures.

Loin d’être un indicateur politique, mon coiffeur, un homme qui il y’a si longtemps, à mon arrivée en Turquie, me disait que le peuple aimait Erdogan, m’a demandé ce matin si j’allais participer  aux manifestations du soir. Il pense y passer. Il m’a dit tout simplement, que personne ne mérite de perdre son enfant. Que, finalement, qu’il soit sorti acheter du pain ou pas, on s’en fout.

En politique, les derniers mois furent extrêmement intenses en Turquie. Des scandales de corruption aux scandales touchant aux écoutes, la guerre AKP- GULEN. A quelques semaines des élections, la mort de Berkin Elvan n’est pas la bienvenue pour le gouvernement. Elle remet en évidence ses défauts et sa difficulté à gérer les crises, et l’opposition. Petit à petit, c’est mon impression, le gouvernement perd sa prise sur les rênes de la société turque. Une preuve ? peut-être le fait que l’on voit subitement, beaucoup plus souvent, le chef de l’opposition à la télévision.

Enfin je m’en vais, suivez les nouvelles. Les médias décriront , comme je l’ai fait, le mouvement d’aujourd’hui comme celui d’une série de manifestations, mais loin de là, aujourd’hui, c’est une procession funéraire que l’on réprime. Même en Turquie donc, havre d’un islam qui se voulait politique, il ne reste plus rien de sacré.

11 MARS 2014

NICOLAS LEISTENSCHNEIDER

MEDIAPART